Tout savoir sur l'entreprise familiale
Publié le 26.11.2024
En famille, trouver le juste équilibre entre égalité et équité
La répartition des tâches, des pouvoirs, des responsabilités, des résultats, du capital est, pour toute entreprise, un équilibre difficile à trouver. Pour une entreprise familiale, le filtre des liens de parenté brouille un peu plus cette organisation et complique encore la recherche de ce nécessaire équilibre. Alors, revenons aux fondamentaux ! L’égalité et l’équité sont deux principes à surveiller de près, d’autant plus lorsque l’on travaille en famille.
L’égalité, consacrée par la déclaration Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, est une égalité de droit qui « exige que toutes les personnes placées dans des situations identiques soient soumises au même régime juridique, soient traitées de la même façon, sans privilège et sans discrimination ». On parle ici d’une égalité de traitement. Appliqué à une entreprise, qu’elle soit familiale ou non, le principe d’égalité sonne comme une évidence, par exemple : à travail égal, rémunération égale.
Attention néanmoins, car ce principe intangible inscrit au fronton de nos mairies pourrait être mis à mal du fait même des liens familiaux : rémunération différenciée pour compenser le coût des études de l’un par rapport au coût des études de l’autre ou pour soutenir un enfant momentanément dans le besoin… Ou à l’inverse, une rémunération égale entre les enfants alors que le travail réalisé diffère pour ne pas rompre l’égalité de traitement qui a toujours prévalu au sein du foyer. Partant d’un bon sentiment, ces compensations devront trouver d’autres voies pour être solutionnées.
Bien que l’égalité de droit soit respectée, dans certaines situations, l’inégalité des situations personnelles peut entraîner une inégalité des chances. Pour y remédier, le recours à l’équité ou la recherche de la juste proportion peut être envisagé.
À titre d’exemple, la transmission de l’entreprise à l’enfant qui y travaille, et en parallèle, d’un bien immobilier d’une valeur sensiblement égale à celui qui n’y travaille pas, est une recherche d’équité (à défaut d’égalité stricto-sensu).
L’équité peut amener à des dérives. Elle repose sur le principe de la correction d’une injustice, mais, si l’injustice est définie par celui qui décide de la corriger, alors il conviendra de s’assurer que tous ont bien compris les tenants et les aboutissants d’une telle décision. En famille, plus qu’ailleurs, le coup de pouce d’avant-hier ou le passe-droit d’hier sont autant de bombes à retardement potentielles s’ils ne sont pas acceptés de tous !
Les statuts sociaux au sein d’une entreprise familiale
Employer un membre de sa famille pour une prestation de travail, qu’elle soit régulière ou ponctuelle, n’est pas rare. Néanmoins, la législation impose d'attribuer un statut social y compris pour les membres d'une même famille.
Embaucher votre enfant, même pour l’été, au sein de votre commerce, confier à votre conjoint la comptabilité ou lui demander d’assurer des missions commerciales pour votre petite entreprise, sont autant de situations plutôt classiques quand on travaille en famille. Toutefois, cela oblige à définir le statut social adapté.
Quand on parle de statut social, on pense cotisations sociales et coût pour l'entreprise. Cependant, derrière les cotisations se cachent des prestations : trimestres pour la retraite, indemnités journalières en cas d’arrêt de travail pour maladie, voire en cas d’accident du travail… Les organismes sociaux servent également des pensions en cas d’invalidité ou un capital décès.
Conjoint : plusieurs statuts possibles
Depuis la loi PACTE de 2019, le conjoint d’un chef d'entreprise qui travaille activement et de façon régulière dans l'entreprise, doit choisir entre trois statuts : conjoint collaborateur, conjoint associé ou conjoint salarié.
Pour être conjoint collaborateur, il convient de remplir les conditions suivantes :
- être marié, pacsé ou en concubinage avec le chef d'entreprise ;
- travailler régulièrement et activement dans l'entreprise ;
- ne pas être rémunéré ;
- si l'entreprise est une société, ne pas être associé.
Par chef d’entreprise, on entend ici un entrepreneur individuel ou un micro-entrepreneur, un gérant associé unique d’une EURL ou un gérant associé majoritaire d'une SARL ou SELARL. Le conjoint qui n'est pas déclaré sous l'un des trois statuts et qui travaille dans l'entreprise sans percevoir de rémunération est automatiquement considéré comme étant conjoint salarié.
Depuis 2022, le conjoint collaborateur déclaré passe automatiquement, au bout de cinq ans, au statut de conjoint salarié s'il n'a pas fait de déclaration pour changer de statut. Le salariat, quant à lui, impose les conditions cumulatives suivantes : le salarié et l’employeur sont soumis aux règles qui régissent le contrat de travail et les conventions collectives applicables au secteur professionnel de l’entreprise. Les critères cumulatifs du statut de salarié sont le travail effectif, la rémunération en contrepartie du travail et le lien de subordination.
Le lien de subordination de l’employeur sur le salarié se traduit par des directives, un contrôle de l’exécution du travail et des sanctions possibles lors des manquements du salarié aux obligations contractuelles. C’est souvent cette notion qui est mise à mal, notamment quand c’est le conjoint qui est salarié. En droit civil, il existe un principe d’égalité des époux et en droit du travail, il doit être subordonné.
Il convient donc d’être vigilant pour que cette relation employeur/salarié ne soit pas remise en cause, notamment par l’assurance chômage en cas de rupture de contrat de travail.
Entre bénévolat et entraide familiale : une zone à risque
Si la relation de travail est régulière, un employeur ne peut pas faire travailler un membre de sa famille, même l’un de ses enfants, dans le cadre du bénévolat. En effet, le bénévole est une personne qui s’implique en toute connaissance de cause pour mener des actions non rémunérées, en dehors de son activité professionnelle. Il ne trouve donc pas sa place dans le Code du travail.
Certaines situations font exception et permettent le recours à un bénévole. C’est notamment le cas de l’entraide familiale, lorsqu’elle reste isolée, exceptionnelle, ponctuelle et de courte durée. Cela ne concerne que les toutes petites structures. L’entraide familiale est, comme son nom l’indique, un soutien apporté par un membre de la famille à un moment où l’entreprise connaît un pic d’activité. Seuls les parents au premier degré, c’est-à-dire les parents, enfants, frères ou sœurs et conjoints sont autorisés. Les juges retiennent qu’elle ne doit pas servir à pourvoir un emploi permanent, durable ou nécessaire au fonctionnement normal de l'entreprise.
Le bénévolat est :
- volontaire
- occasionnel
- non rémunéré
L'entraide familiale concerne spécifiquement :
- les petites structures
- les parents au 1ᵉʳ degré
- les périodes d'activité intense
Les sanctions qui peuvent mettre en péril la pérennité de l’entreprise
Une action prud’homale
Rien ne laisse imaginer qu’un membre de la famille puisse « aller aux Prud’hommes ». Or, il faut garder en tête que la sphère privée peut avoir un impact dans la relation de travail. Ainsi, une dispute avec son neveu, un divorce… et le règlement de compte se passera devant les juges ! Il convient donc là aussi de rester vigilant sur l'application stricte de la législation sociale (rémunération en corrélation avec les missions confiées, mise en œuvre de sanctions disciplinaires si travail mal effectué…).
Un contrôle Urssaf
Le bénévolat peut être remis en cause par l'Urssaf. Dans ce cas, un inspecteur diligentera un redressement de cotisations sociales sur une rémunération forfaitaire. Il peut aller jusqu’à présumer un travail dissimulé. Il existe un autre cas litigieux et répréhensible, celui de conférer des droits et un statut social à un conjoint ou un autre membre de sa famille qui n’intervient pas réellement dans l’entreprise. Si les missions ne sont pas réelles, que le poste n’est pas bien déterminé ou que le contrat de travail ne correspond pas à un emploi effectif, il pourra être considéré comme un acte anormal de gestion, pouvant avoir une qualification pénale d’abus de bien social.
Travail en famille : une question d'organisation
8 entreprises françaises sur 10, tous secteurs confondus, sont familiales. Si travailler en famille présente bien des avantages (connaissance mutuelle, implication, confiance, flexibilité…), l’aventure comporte aussi des inconvénients et des risques. Or, bien des écueils pourraient être évités.
Formaliser les rôles et la place de chacun
Quand on travaille en famille, on multiplie les types de liens qui nous unissent. « Quand tu me parles de cette façon, t'adresses-tu à moi en tant que père (mari, sœur…) ou associé ? » La distinction des rôles mérite d'être abordée pour éviter la confusion. Plus vous serez clair sur les différents liens existants entre vous et sur la place des uns et des autres dans l'entreprise, plus vous diminuerez les risques de tension. Le positionnement et le statut de chacun doivent être bien définis.
Compartimenter les espaces
En couple, il est indispensable de préserver une sphère où le travail n'a plus sa place. Il est impératif de marquer symboliquement les différents espaces : celui où s'exerce la décision, le pilotage, l'administratif... et celui où se déroule la vie privée. Cette séparation de la vie personnelle et professionnelle peut se faire de plusieurs façons. Par exemple, « si dans la sphère privée, je t'appelle papa, dans la sphère professionnelle, je t'appelle par ton prénom ». Ce changement de posture en cas de conflit limitera la contagion dans les différents espaces.
Définir les régles
Le règlement intérieur et le pacte d'associés sont de bons outils pour permettre de clarifier tous les aspects du fonctionnement de la collaboration. Ce n'est pas parce qu'on se connaît bien que nos représentations et nos objectifs sont similaires. Si je ne le vérifie pas, je prends le risque d'être surpris et déçu.
Transmission familiale, c'est aussi une histoire de timing
Bon nombre de chefs d’entreprise voient en leurs enfants un ou des repreneurs potentiels. Mais attention à bien préparer la transmission pour ne pas connaître des situations anxiogènes ou générer des conflits entre les générations de dirigeants.
Céder son entreprise est un sujet complexe qui effraie parfois les dirigeants. Trouver un repreneur, l’accompagner dans la reprise, négocier les conditions de cession… Toutes ces démarches semblent tellement plus simples à effectuer si elles se déroulent dans le cercle familial. Oui mais… il convient d’aborder le sujet au bon moment avec ses enfants pour qu’ils n’aient pas le sentiment d’être « forcés » à reprendre l’entreprise. Le bon moment est en partie lié à leur parcours scolaire et professionnel.
Comprenez par là qu’il n’est pas utile d’évoquer concrètement le projet avant leur entrée sur le marché du travail. L’intérêt qu’ils portent à l’entreprise familiale doit être naturel. Et leur prise de décision sera facilitée par diverses expériences professionnelles en dehors de la sphère familiale. De plus, ces expériences seront bénéfiques à l’entreprise car elles apporteront une autre vision, voire d’autres savoir-faire. Lorsqu’un enfant décide d’intégrer l’entreprise de ses parents, il faut que sa situation soit clairement définie.
• S’il est salarié, il contribue au bon fonctionnement de l’entreprise comme tous les autres salariés. Et cela, idéalement sans distinctions particulières ou favoritisme. Il en va de la qualité de son intégration, mais également de la bonne cohésion d’équipe, si précieuse.
• S’il est associé à la gestion de l’entreprise, l’organisation juridique doit évoluer en conséquence, et ce, dès son arrivée.
Le sujet est crucial, car il n’est pas rare de voir des enfants racheter à leurs parents le fonds de commerce ou les parts sociales d’une société qu’ils ont contribué à développer, depuis des années, par leur implication, leurs heures de travail supplémentaires ou leurs bonnes décisions stratégiques ! Tout est une histoire de « timing ». Confier la direction trop tôt peut être préjudiciable pour l’équilibre de l’entreprise. La confier trop tard peut être considéré comme une injustice par l’enfant repreneur, avec le sentiment de payer le fruit de son travail lors du rachat de l’entreprise.
L’équation est loin d’être évidente à résoudre. Une des clés pour la dénouer du mieux possible est la communication entre les parties. Elle permettra d’expliquer le processus envisagé, de valider les valorisations de l’entreprise effectuées par les experts et d’étudier les conséquences de la cession pour chacun des acteurs. La pérennité de l’entreprise est importante, mais en rien comparable à la bonne entente entre parents et enfants.
Les étapes d'une transmission d'entreprise familiale réussie
Copyright © Magazine « Gérer pour gagner » ACS n°68 - Nov Déc. 2023 Janv. 2024
Rédacteurs : Christelle Dupin-Rappart, responsable juridique ; Claire Aignel, conseillère RH ; Nicolas Cayzeele, conseiller en patrimoine ; Régis Campion, responsable veille et innovation
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