Réussir son installation agricole
Publié le 03.12.2024
Quand l'installation mène à l'introspection
L’installation en agriculture est un projet qui engage généralement la personne avec de lourds investissements sur le long terme. Un minimum d’introspection s’impose avant le grand saut. Êtes-vous prêt à faire face à tous les impondérables liés à ce métier ?
Accepter l’aléatoire dans la planification des travaux
Pour toutes les productions végétales (cultures, maraîchages, arboriculture, vigne…) « Dame nature » demeure maître de l’organisation des travaux. Force est de constater qu’avec le dérèglement climatique, elle se met davantage en colère et devient de plus en plus imprévisible. Dans ces conditions, « suis-je donc prêt à des horaires élastiques, à travailler parfois à contrecourant de la société, à sacrifier des loisirs programmés… bref à accepter ces aléas et à m’y adapter ? ». Ces questions revêtent une importance capitale dès lors qu’on aborde la vie de famille. Il peut être difficile de trouver le bon équilibre vie familiale / vie professionnelle, en particulier lorsque le conjoint exerce une activité extérieure. Les aspirations du conjoint, mais aussi celles des salariés sont à prendre en compte. « Suis-je donc prêt à composer avec les envies et les besoins de toutes mes parties prenantes ? ».
Coopérer avec ses pairs pour bénéficier des avantages du travail d’équipe
Le travail en commun est souvent salutaire. Il permet notamment de diminuer les coûts de matériel, de contribuer au confort de travail et de partager certaines astreintes. Mais en contrepartie, il faut intégrer toutes les dimensions d’un travail d’équipe : « suis-je prêt à accepter leurs idées, à élaborer un programme de travail en commun ? ».
Rester serein malgré les risques financiers
L’installation s’accompagne toujours d’un besoin de financement important, et ce, sur plusieurs années. Le banquier, ou plus généralement le financeur, doit être considéré comme un partenaire auquel on doit rendre des comptes. Les aléas de l’activité conduisent parfois à un manque de trésorerie, hypothéquant la capacité à rembourser ses emprunts. Cela constitue fatalement une source de stress pour le nouvel installé. « Suis-je donc capable de supporter mentalement la gestion financière de mon exploitation ? ».
Gérer au mieux ses relations familiales
Lorsqu’on s’installe, il est parfois nécessaire de changer les pratiques et de moderniser les structures. La famille et le poids des habitudes peuvent être difficiles à gérer, voire lourds à porter. Les exemples foisonnent sur cet aspect fréquemment négligé. Alors, « puis-je faire accepter ma nouvelle approche tout en évitant des relations familiales conflictuelles ? ».
Préparer son projet d’installation : une étape fondatrice
Le parcours à l’installation est souvent décrit et perçu comme un véritable parcours du combattant. C’est surtout l’occasion unique de bien préparer son projet professionnel qui s’inscrit dans un projet de vie, à côté duquel il ne faudrait surtout pas passer. Malgré la pression liée à tant d’enjeux, patience et ouverture d’esprit sont les maîtres-mots.
Le parcours à l’installation en agriculture est très codifié, avec des étapes à valider, des formations et un accompagnement technique obligatoires pour percevoir la Dotation Jeune Agriculteur (DJA). Il est important d’envisager son projet sous tous les angles pour qu'au final, il vous ressemble. Une condition pour cela : vous accorder le temps nécessaire à la prise de recul.
Définir clairement ses objectifs
La première étape de la construction de votre projet d’installation est centrée sur vous : avant d'analyser les opportunités qui se présentent, il est essentiel d’avoir bien défini ce que vous voulez ou pas. L’écrire peut être une bonne idée afin de ne jamais perdre de vue vos objectifs ! En fonction des opportunités qui se présenteront à vous, prenez le temps de vérifier que vos critères initiaux sont bien respectés. Cela vous aidera à rester lucide, même dans l’euphorie que peut générer une nouvelle opportunité d’installation après de longs mois de recherche.
Gérer la question du foncier
C'est souvent l'un des premiers enjeux lorsque le projet de reprise ou de développement de l'exploitation est avancé. Vous reprenez une ferme, mais le cédant n'a pas toujours la main sur le foncier qui va avec. L'aboutissement de votre projet peut dépendre directement des propriétaires, notamment dans le cas des installations hors cadre familial. Le cédant a un rôle à jouer et peut vous faciliter les choses s'il a de bonnes relations avec ses propriétaires et qu'il peut vous introduire auprès d'eux. Il ne les connaît pas toujours quand ils habitent loin. Il est important qu'il les prévienne de vive voix et qu'il vous présente à eux. La pression foncière locale et le cadre réglementaire sont également à prendre en compte. Pas d'engagement de votre part sans avoir obtenu l'autorisation préalable d'exploiter, si celle-ci est nécessaire dans votre situation.
Évaluer le capital à reprendre ou à acquérir
La reprise d'une ferme s'accompagne souvent de la reprise d'un capital. Plusieurs enjeux pour le porteur de projet :
- La qualité de l'outil repris et son adéquation avec le projet. Bâtiments, matériels, cheptel, parts sociales, stocks… tout doit être clairement identifié afin que vous puissiez vous positionner. Dans le cas d'une reprise, il est indispensable de demander au cédant une liste précise et exhaustive des éléments transmis avec leur prix. Charge au porteur de projet d'identifier ce dont il a besoin pour mener à bien son projet. Clarté et transparence doivent être de rigueur des deux côtés pour garantir la sérénité de chacun et favoriser les chances d'aboutir.
- Le prix d'acquisition : qu'il s'agisse de la reprise d'une exploitation ou de parts sociales, la valeur de la transaction déterminera la rentabilité de votre projet. Dans le cadre de l'étude économique qui sera réalisée pour le plan d'entreprise, il est indispensable d'évaluer la faisabilité du projet global, mais également la rentabilité de l'outil repris. Ce sujet du prix est délicat. Pour le cédant, qu'il soit hors cadre familial ou non, c'est une page qui se tourne et la valorisation de son outil est souvent le résultat d'une vie de travail. Il faut l'aborder avec respect et dans un souci d'équité. Chacun doit pouvoir se dire que le prix validé est juste. Si vous faites une offre inférieure au prix fixé, il est important d'expliquer et d'éclairer aussi le cédant sur les enjeux qui sont les vôtres, sur la valeur de reprenabilité de l'exploitation, tout ça dans un climat d'écoute bienveillante.
Déterminer les besoins de main d’œuvre
Votre projet d'installation est aussi votre projet de vie. Il est indispensable de bien évaluer le besoin en main d'œuvre et de l'approcher sous les différents angles que sont : le volume horaire, la qualification requise, les astreintes… Besoins et ressources devront être en adéquation pour que vous puissiez trouver un bon équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Les stages et les formations collectives peuvent être l'occasion de voir comment ça se passe ailleurs et de visualiser davantage les choses.
Élaborer sa stratégie de vente
C'est une composante externe de votre réussite. L'évaluer ne représente pas la même démarche selon le projet que vous portez. Si vous envisagez de commercialiser vos produits en circuit-court, une étude de marché est indispensable. Regardez cela comme une occasion de tisser vos premiers liens commerciaux, de faire évoluer votre offre si cela se révèle nécessaire, de peaufiner vos prix de vente et de lancer véritablement votre projet.
L’ouverture vers l’extérieur, une nécessité pour réussir son installation
La réussite du projet d’installation est conditionnée par toute une série de facteurs inhérents à la performance des moyens de production de la ferme, à la bonne gestion administrative et comptable, à la pertinence des investissements… Mais à l’heure des réseaux sociaux, des facteurs externes entrent aussi en ligne de compte. La mise en œuvre de partenariats, l’intégration de réseaux professionnels et l’ouverture vers un environnement hors agriculture s’avèrent ainsi être de sérieuses clés de réussite.
Le « faire savoir » devient indispensable
Jusqu’au tournant du siècle passé, les agriculteurs étaient, par nécessité, majoritairement tournés vers les travaux de la ferme et peu vers les relations extérieures. Aujourd’hui, pour le jeune entrepreneur, il ne s’agit plus seulement de faire, mais aussi de faire savoir. Les évolutions sociétales et la méconnaissance grandissante du fonctionnement de l’agriculture pour la majorité des concitoyens obligent les nouveaux agriculteurs à prendre les devants pour parler de leur métier. Les manifestations de 2024 ont mis en lumière cette nécessité de recréer un lien entre le grand public et le monde agricole. Ouvrir la ferme sur son extérieur ou s’engager dans la vie locale vont être des « annexes » du métier d’agriculteur, ô combien nécessaires pour améliorer le vivre ensemble et la motivation de l’entrepreneur.
S’intéresser au devenir de sa production
L’accès aux marchés alimentaires, notamment locaux, mais aussi la traçabilité ou la certification, encouragent les agriculteurs à communiquer sur leurs méthodes de travail. Les cahiers des charges des coopératives obligent leurs adhérents à préciser leurs conditions de production. Bien évidemment, ces contrats sont limités et proposés, en priorité, aux coopérateurs qui se font connaître et reconnaître. Il est donc primordial d’afficher une démarche volontaire. L’ouverture vers les débouchés alimentaires est une évolution majeure du métier d’agriculteur. En outre, plus l’exploitant est confronté au consommateur, plus le besoin d’ouverture, d’explication et de sensibilisation s’impose. Pour certains, c’est une prédisposition naturelle, tandis que pour d’autres, il faut se motiver et briser son isolement. Cela étant, il semblerait que l’installation hors cadre familial et la mixité plus affirmée dans le métier amènent toujours plus d’ouverture vers l’extérieur.
Vers l’ouverture du capital des exploitations agricoles ?
Investissement dans le matériel, le cheptel, les bâtiments ou encore la reprise de l’exploitation du cédant… l’installation en agriculture nécessite souvent la mobilisation de capitaux importants. Par conséquent, il faut anticiper avec le plus grand soin le plan de financement de ces différents investissements.
Les modalités de financement d’une installation sont variées. Montage juridique, financeur, taux, durée… L’ensemble de ces paramètres doit être soigneusement étudié. Lorsque le coût des reprises prend de l’ampleur, la question de l’emprunteur devient déterminante. Faut-il alors emprunter à titre personnel ou choisir d’emprunter via une société interposée, une holding (société qui détient une autre société) ? Une holding permet, entre autres, de financer la reprise sous le régime fiscal de l’impôt sur les sociétés (IS), tout en continuant à mener son exploitation agricole sous le régime de l’impôt sur le revenu (IR). La question n’est donc pas anodine.
Au démarrage, cette dichotomie fiscale permet d’appliquer le régime fiscal optimal à chacune des situations :
• le régime de l’IS pour la holding rend le financement de la reprise plus confortable, car les fonds nécessaires au remboursement des annuités ne sont pas soumis aux cotisations MSA et à l’impôt sur le revenu (mais à l’IS) ;
• le régime de l’IR pour la société d’exploitation permet d’accéder aux spécificités de la fiscalité agricole (moyenne triennale, DEP…).
Au fur et à mesure du temps, le financement de la reprise devient un lointain souvenir, mais la holding et son régime fiscal irrévocable de l’IS perdurent. La pérennité de ces sociétés « holding d’installation », devenues sociétés patrimoniales de détention, oblige les agriculteurs à penser différemment la détention de leur exploitation. Autrefois détenus par l’exploitant et son cercle familial restreint (conjoint, parents), les capitaux peuvent désormais faire l’objet d’une ouverture. L’exploitant peut choisir d’élargir la typologie de ses associés en ouvrant le capital à la famille éloignée ou à des investisseurs tiers. Le tropisme quasi unanime de l’agriculture et des agriculteurs les incite à détenir pleinement leur outil de travail (exploitation et foncier compris) et ce quel qu’en soit le prix à payer…
Autrement dit, vaut-il mieux faire appel à un banquier, que l’on devra rembourser rubis sur l’ongle, ou avoir par exemple pour associé minoritaire un cousin éloigné pour financer son exploitation ? Même si ces nouveaux associés doivent être choisis avec soin, la question mérite d’être posée. Ces nouveaux schémas de financement et de détention, par la faculté qu’ils procurent d’ouvrir le capital à d’autres investisseurs, peuvent permettre de continuer à rester maître de son exploitation tout en ne sacrifiant pas tout à une détention totale.
Copyright © Magazine « Gérer pour gagner » AGRI n°75 - Août Sept Oct. 2024
Rédacteurs : Thierry Lemaître, agronome ; Sandrine Jean, conseillère de gestion ; Nicolas Cayzeele, conseiller en patrimoine ; Jacques Mathé, économiste rural
Éditeur : Conseil National du Réseau Cerfrance Association loi 1901 - Siège social : 18 rue de l’Armorique 75015 Paris - Tél. 01 56 54 28 28